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Coturel Joseph
(Envoyé par notre camarade JULE Francis, de
Belle-Ile en mer)
Le Capitaine au long-cours, Joseph Coturel de l'Ile
d'Arz, a réussi, sans radio, à sauver son trois-mâts MARECHAL DE CASTRIES après
cinq jours de dérive dans les parages du Cap Horn sous les huniers fixes et le
grand volant. Il raconte lui même l'évènement.
Le 27 février 1910, je pris à Dublin le
commandement du trois-mâts MARECHAL DE CASTRIES. Ce navire, d' un port en lourd de 2.800 T, avait à bord 300
T, du sable et 1.000 T, de fonte à destination de Portland (Orégon). Ainsi, à
demi-chargé, le navire était en bon état de navigabilité. Jusqu'au premier
août, la traversée s'effectua sans incident. Dans l'après midi du 31 août, me
trouvant entre les îles Malouines et la Patagonie, je fus assailli par un violent coup de vent qui atteignit très vite
la violence d'un ouragan. Le vent était alors du N-0 et nous faisions bonne
route cap au S-S-0, sous les huniers fixes et le grand volant, nous dirigeant
vers le cap-Horn. Je. restai sur la dunette jusqu'à minuit.
Le second prenant alors le quart, je ne
décidai à aller prendre un peu de repos dans la chambre de veille. La houle
permanente de l '0uest qui règne dans ces parages grossissait très vite. A une
heure du matin, une lame plus forte que les autres coucha le navire sur bâbord
et l'on entendit comme un roulement de
tonnerre. ! C'était notre chargement qui venait de riper.
Je criai aux deux hommes de barre : Bâbord
toute, laissez porter. Le second s'occupait d'amener le grand volant. Avec la bordée qui avait quitté
le pont à minuit et qui en cinq minutes fut sur la dunette, je fis brasser en
ralingue derrière. Mais le navire n'obéissait plus à son gouvernail. Il fit
cependant un petit mouvement d'abattée et resta cap au Sud avec variante de 15
à 20° de chaque bord.
Il conserva d'ailleurs ce cap et cette position
jusqu'au mouillage, ballotté au gré de la houle comme une épave abandonnée, et
cependant nous étions 23 hommes à bord.
Deux des embarcations, le grand canot et la baleinière de bâbord avaient
été enlevées ; pourtant elles étaient au moins à deux mètres cinquante au
dessus du pont. La lame qui avait fait déplacer le chargement les avait sans
doute emportées, car personne ne les avait vues partir. L'équipage eut
l'intention de mettre à la mer les deux autres qui nous restaient. Le second me
prévint de leur dessein. Je les fis donc rassembler sur la dunette et réussis à
les en dissuader. Ces deux embarcations
étant du côté du vent auraient, en effet été brisées avant leur mise à l'eau
et n'auraient pu, d'ailleurs, contenir tout le monde. Je leur fit comprendre
que, si le chargement ne ripait pas davantage nous aurions des chances de nous
en tirer. Puis je leur dis : Souvenez vous du proverbe : Aide toi,le ciel
t'aidera.
Je me
rappelai qu'il y avait dans la cale des madriers du bord. Si nous pouvions les
engager entre les gueuses du chargement, peut-être arriverions-nous à
l'empêcher, de se déplacer davantage.
Il fallait donc se décider à descendre dans la cale. Je laissai un. homme à la
barre sous la surveillance du lieutenant, puis avec le second, le maître
d'équipage et quelques hommes ; je pénétrai dans la cale par la cambuse. Nous commençâmes à engager des madriers là
où nous le pouvions. Puis, je fis assembler, trois par trois, d'autres madriers pour confectionner trois dalles. Et ce fut
sur ces dalles dont une extrémité reposait sur la serre du faux pont et l'autre sur la carlingue que
l'on réussit, pendant quatre jours consécutifs, à faire glisser les gueuses de
fonte de bâbord du faux pont à fond de cale. J'estime que nous avons ainsi fait
glisser au minimum 250 à 300 tonnes. C'est peu mais ceci a contribué
certainement à assurer la stabilité du navire et à le redresser tant soit peu.
Au début de l'opération, tous les hommes ne descendirent pas dans la cale. Je m'en
aperçus et je remontai. Je trouvais sur la dunette cinq ou six d'entre eux qui
étaient complètement découragés. On a beau faire me dirent-ils nous sommes
fichus. Je leur fis remarquer que si nous avions à mourir, il était préférable
de mourir tous ensemble dans la cale que de souffrir pendant longtemps peut
être, car dans ces parages nous n'avions aucune chance d'être secourus. A
force de persuasion, ils consentirent à me suivre et je dois dire qu'à partir
de ce moment chacun travailla avec ardeur et courage. Leur conduite fut digne
de tout éloge.
Pour aller dans la cale, nous passions par la
cambuse, mais on ne se permettait de toucher au vin, ni à l' eau de vie, que je
fis distribuer amplement. Lorsqu'on était fatigué, on remontait sur le pont
prendre un peu d' air, puis manger. Nos repas se composaient de conserves et de biscuits. Impossible de
faire du feu, le fourneau était mâté debout dans la cuisine. Tout l' équipage
couchait dans la voilerie, sur les voiles en réparation. Toutes les nuits, je
fis lancer des fusées de détresse. Peut-être quelque voilier faisant route
comme nous pour aller doubler le cap Horn, ou bien quelque paquebot Anglais
reliant les Malouines à Punta Arénas aurait pu les apercevoir.
Après 4 jours de dérive, comme une épave, on
aperçut la terre ! C'était au matin du 5 septembre 1910. C'étaient les Iles
Malouines, vers lesquelles nous dérivions en travers de la lame. L'état de la
mer s'était amélioré et l'espoir d'être sauvé grandissait . Vers 8 heures, on aperçut une fumée.
On crut tout d' abord que c' était un feu allumé à terre, mais étant monté dans
la hune d'artimon, le second nous dit que cette fumée se trouvait entre la
terre et mon navire et qu'elle paraissait se diriger vers nous. C'était en
effet un chasseur de baleines de la Station de North Island. Je fis hisser le signal de détresse N.C. du code international. Dès qu'il fut à
portée de voix, le patron me demanda ce que je voulais. Je lui répondais que si
possible, je voulais être remorqué à l'abri dans une baie quelconque, mais en
même temps je lui demandais quel prix il me prendrait.
Après avoir fait le tour de mon navire, il me
répondit 400 livres, un peu plus de 10.000 francs de l' époque. Il m'aurait
demandé 100.000 francs que j' aurais accepté ! Je traitais donc pour 400 livres
et il prit la remorque. Il essaya de faire venir le navire premièrement sur
bâbord, mais en vain. Le navire venait
de 15 à 20 degrés, mais dés que la houle le prenait par l'arrière, il revenait
en travers de la lame. Pour venir sur tribord, c'était encore plus difficile : Le navire ne pouvait remonter
à la lame. Il ne put donc que nous déhaler un peu vers le sud. Mais
l'espoir était revenu parmi l' équipage.
Nous avions en effet près de nous un gardien qui, en cas de besoin pouvait nous sauver...
Vers midi, je reconnus l'entrée de Smylick
Channel, entre l'île Weddel et l'île ouest des Malouines. Vers 14 heures, le
vent ayant repris et la houle ayant grossi, le baleinier nous signala de
larguer la remorque. Je ne voulu d'abord pas la larguer; mais voyant
qu'il ne nous déhalait plus, je la fis
larguer en lui signalant de se tenir à proximité, de façon à sauver l'équipage
si nous< ne pouvions sauver le navire.
Notre position était alors environ deux milles dans le N.O. de Smylick Channel,
seul endroit où nous pouvions nous mettre à l'abri s 'il était possible de
l'atteindre.
Il faut vous dire que, si le navire ne
gouvernait plus, il allait tout de même en avant ou en arrière à l 'aide des
huniers fixes quand l'on mettait vent dedans ou vent dessus . C'est ainsi qu'en
brasseyant suivant le besoin, le
courant aidant, je réussi à gagner l'abri d'une petite île à l'entrée du
Smylic Channel. La, le baleinier vint reprendre la remorque, mais, pas plus à
l'abri qu' en pleine mer, il lui fut impossible de faire éviter le navire. En
entrant dans le chenal, nous étions si près des roches que le baleinier, hésitant
de passer entre le navire et les rochers, largue la remorque en criant :"We
can't do nothing more for you!" (nous ne pouvons faire rien de plus pour
vous).
Smylic Channel a à peu près deux milles de longueur sur trois quarts de mille de largeur.
Sa direction est O.S.O-E.N.E. avec
quelques contours. Ce fut en manoeuvrant les vergues avec les deux huniers
fixes, tantôt vent dessus, tantôt vent dedans, que je réussi à le franchir.
Mais il fallait en même temps préparer l'ancre pour le mouillage ce qui n'était
pas facile. Nos deux ancres étaient au poste de mer, en travers sur le
gaillard. Par suite de la gîte sur bâbord, l'ancre tribord était
inutilisable. Pour la même raison, la chaîne bâbord était engagé dans le
puits à chaînes. On réussit à monter la chaîne de tribord, mais il fallait
la passer de tribord a bâbord, sous la sous barbe. Une partie de l'équipage,
sous les ordres du second, s'occupa de ce travail, tandis que le reste, avec le
maître d'équipage, manoeuvrer sur mes ordres.
Smylic Channel, après environ deux milles, bifurque en deux directions sur une
pointe avancée de l'île ouest des Malouines. L'une des branches se dirige au
Nord entre Weddel et l'île de l'Ouest, l'autre vers le sud-est pour former la
baie de Smylic. C'est dans cette dernière que j'ai décidée de mouiller mon
navire. L'opération de la chaîne fut terminée juste à temps comme nous
arriver à cette bifurcation. Lorsque je donnai l'ordre de mouiller, la chaîne
fila environ 10 à 15 mètres, sous notre effort elle fila ensuite cinq
maillons. Le navire s'arrêta environ 100 mètres des rochers. Nous étions sauvés
mais le navire n'était pas en sécurité. Le lendemain, avec l'aide du
baleinier à qui je fis reprendre la remorque toute en laissant draguer mon
ancre, je conduisis mon navire dans la baie de Smylic où il se trouvait en
parfaite sécurité.
Un officier des
Douanes anglais prit des photos du navire lorsqu'il était sain et sauf au
mouillage dans cette baie.